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Le lendemain soir, l’armée quitta Maghâra par la vallée méridionale. Plus loin, cette vallée rejoignait une large plaine conduisant, vers l’est, à l’oasis de Tahuna, où était installé le quartier général de l’ennemi.
Les mineurs de Maghâra avaient proposé au roi de se joindre à son armée, qui se renforça ainsi de près d’un millier d’hommes. Malgré leur appréhension, ils étaient décidés à combattre le démon funeste qui avait envahi leur pays. Ils étaient fermement convaincus que l’individu mystérieux qui avait su imposer sa loi aux Asiates et aux Édomites n’était autre que l’incarnation du dieu rouge. Djoser n’était pas éloigné de les croire. Il régnait dans la vallée du sud une atmosphère malsaine, pénible, comme si l’esprit de Seth la hantait, un esprit assoiffé de combat et de destruction.
Au matin, l’armée établit son campement auprès d’une petite oasis. Thanys, qui avait marché toute la nuit à côté de son époux, avait ressenti sa nervosité. Bien qu’on leur eût dressé une tente chacun, elle le rejoignit sous la sienne afin de le réconforter.
Un doute insidieux s’était emparé de l’esprit de Djoser, provoquant une angoisse sourde qui lui rongeait les entrailles. Malgré la puissance de son armée, il redoutait cette fois de n’être pas le plus fort. Parce qu’il ignorait qui était réellement son ennemi. Malgré la présence rassurante de Thanys, il dut faire un effort pour chasser son anxiété. Ce n’était pas pour lui qu’il avait peur, mais bien pour le Double-Pays et son peuple. Son intuition lui soufflait que ce combat serait le dernier qu’il devrait mener, et de son issue dépendait le sort de Kemit. S’il était vaincu, les Deux-Terres sombreraient dans une période de chaos dont peut-être elles ne se relèveraient jamais.
Pourtant, comment triompher d’un adversaire dont il ignorait tout, et dont il venait à penser parfois qu’il était peut-être le dieu Seth lui-même ? Quelle force lui opposer, lui, simple mortel, même s’il était l’incarnation du dieu Horus ?
Mais c’était impossible ! Les dieux n’apparaissaient que dans les légendes. Dans la réalité, ils luttaient par l’intermédiaire des hommes qui les représentaient. Alors, qui incarnait le dieu Seth face à lui ?
Il se força à raisonner calmement, repoussant par de violents efforts de volonté les ondes de terreur irraisonnées qui le parcouraient par moments. Les paroles de son vieux maître, Merithrâ, lui revinrent en mémoire. Le véritable Seth n’avait pas de rapport avec le dieu guerrier impitoyable que certains s’obstinaient à voir en lui. Il était le neter de la mort, mais aussi de la résurrection, la coquille sèche de l’œuf qui protège la vie en gestation. Seule la perversité des hommes l’avait dénaturé. Mais, tout comme Meren-Seth quelques années auparavant, un homme s’était paré du reflet sombre de l’esprit de Seth. C’était ce monstre qu’il allait devoir combattre.
Peut-être s’agissait-il de l’un des seigneurs qui avaient fui l’Égypte au début de son règne, après avoir soutenu l’imposture de Nekoufer. Pourtant, aucun d’entre eux ne possédait une personnalité forte, capable de soulever une partie de la noblesse égyptienne et de concrétiser une alliance entre les Hittites et les Édomites.
En dehors de Meren-Seth, aucun homme ne possédait un charisme suffisant pour accomplir un tel exploit, sauf…
Soudain, une onde d’adrénaline le parcourut, qui manqua de lui couper le souffle. Un travail s’accomplit dans son esprit, à la vitesse de l’éclair. Puis il s’écria :
— Par les dieux ! Ce n’est pas possible !
Thanys, qui commençait à somnoler, épuisée par la longue marche nocturne, se réveilla en sursaut.
— Qu’est-ce qui n’est pas possible ?
Il la prit par les épaules, le regard halluciné.
— Je sais qui est notre ennemi !